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T’es qu’une bugne !

mercredi 1er février 2006, par Patrice Vanneufville


Les bugnes font partie des lyonnaiseries qui font saliver. Dorées, craquantes, elles nous rendent l’hiver plus doux et permettaient à nos grand-mères de passer le carême sans perdre trop d’embonpoint... La bugne est tantôt sèche, tantôt molle, briochée ou aromatisée. Chaque boulanger a sa spécialité et chaque pâtissier a l’art de les accommoder. Personne n’est détenteur de la vraie recette et Nizier du Puitspelu, en 1891, s’y était déjà cassé les dents : " Comment se fabriquent les bugnes ? L’on sait que c’est une poignée de pâte, façonnée en couronne et frite dans l’huile. Mais de quoi se compose la pâte ?(...) Ni les unes, ni les autres n’en savent rien".

Pour les gourmandes...
La bugne est une invention lyonnaise qui permettait d’apporter un peu de plaisir pendant la période du carême. Au siècle dernier, du mercredi des Cendres jusqu’au dimanche des Rameaux, il fallait se serrer la ceinture et manger maigre. Dure épreuve pour le Lyonnais qui devait se contenter d’un seul repas à midi et d’une collation le soir où vous ne pouviez dévorer ni œufs, ni poissons, ni fromages, ni lait, ni beurre. Que nenni ont dû se dire quelques mères lyonnaises supportant mal ce régime minceur. Et pour améliorer ce maigre quotidien elles prirent "de la farine, de la levure de bière ou de grain" qu’elles ont délayées dans de l’eau et frit dans l’huile : les bugnes étaient nées !
A cette époque la "petite gâterie de carême" faisait la joie des dévotes puisqu’elles prenaient du plaisir sans que le curé n’y trouve à redire. Depuis, le premier dimanche de Carême(*) est devenu le dimanche des bugnes qui pendant quarante jours vont devenir les reines des étalages dans les boulangeries ou les pâtisseries (on en trouve également d’excellentes chez les charcutiers-traiteurs). 

Bugne à bugne
Mais les bugnes ont évolué au fil des ans et si la bugne avait une réputation de produit maigre aujourd’hui il serait préférable de faire confiance à Weight-watcher pour vous faire faire le carême plutôt qu’aux bugnes du bon Dieu qui font grimper aux rideaux n’importe quel diététicien. De toute façon, faire maigre n’est plus qu’un délire de bigotte et les bugnes se sont enrichies pour le plaisir grandissant des gourmands lyonnais. Patrick Delbar, qui fabrique certainement les meilleures bugnes de Lyon, nous a avoué qu’il y mettait du beurre et des œufs, mais pour le reste c’est top secret. D’autres y mettent du lait et les moins inspirés imbibent les bugnes à la fleur d’oranger ou pire à la fleur de rose. Bref, en matière de bugne tous les coups sont permis. Seule certitude : depuis son origine la bugne a pris des calories... Elle peut avoir également plusieurs formes. Les bugnes dites sèches sont de fines dentelles qui craquent et fondent sous la langue et les bugnes dites molles ont l’aspect du beignet, on les appelle aussi des bugnes à l’éperon. Et si les boulangeries stéphanoises ou valenciennoises donnent la primeur à ces dernières, les Lyonnais sont beaucoup plus sensibles à la bugne sèche qui se trempe dans le thé, se marie admirablement avec un verre de mâcon ou une coupe de champagne. Mais comme le disait déjà au XIXe siècle Nizier du Puitspelu "Aujourd’hui je trouve la bugne médiocre et encombrante. - Est ce qu’on les fait moins bonnes ? - Je le crois". C’est en tout cas l’avis de beaucoup de "bugnophiles" qui les trouvent souvent trop grasses, imbibées d’huile ou pas assez fraîches. Car une bonne bugne demande énormément de travail et il faut qu’elle soit fabriquée et consommée dans la journée. Tout un art qui s’adapte mal avec les lois du marché et de la rentabilité. Mais il y a encore à Lyon des gens qui travaillent la bugne avec perfection, comme ce boulanger de la rue Lanterne qui a pris la succession du célèbre Le Petit, grand pape de la bugne lyonnaise (voir ci-dessous).
Une chose est sûre, "L’amour des Lyonnais pour la bugne date de loin" et à partir de dimanche, date officielle du début de la saison des bugnes, on ne comptera plus les Lyonnais qui braveront les matins d’hiver avec leur bugne (haut de forme) sur la tête pour s’acheter "300 grammes de sèches". Quant aux pauvres bugnes (imbéciles) qui n’aiment pas les lyonnaiseries sucrées, qu’ils prennent leur mal en patience, cela va durer quarante jours... 

J.O.A.

(*) Le carême commence cette année mercredi 21 février. Le premier jour "officiel" des bugnes aurait dû être fixé cette année au dimanche 25 février et "la saison" devrait se terminer le 31 mars, jour des Rameaux. Mais cela fait belle lurette que l’on en mange avant et après... en toute "illégalité".

 

Extraits de bugne

La bugne était considérée jadis par les Lyonnais comme un aliment délicieux. Dans mon jeune temps, les plus célèbres étaient celles de la rue de l’Aumône, une vieille rue que le percement de la rue Impératrice a fait disparaître. Au coin, dans une niche, si la mémoire ne me faut, il y avait la statue d’un lépreux. Le dimanche des bugnes, c’était grand’fête. Je vois d’ici les deux arcs de la boutique, sans devanture, en pierre noircie par les vapeurs huileuses, décorés, comme en manière d’arc de triomphe, de festons de buis vert, auxquels on attachait d’interminables chaînes de bugnes. Les guirlandes suspendues en plein vent envoyaient au nez des passants leurs effluves appétissants, leur couleur dorée, chaude, éveillait la concupiscence et si, dans le paradis terrestre, l’arbre dont Eve cueillit la pomme eût porté des bugnes, ce n’est pas un seul jour, une seule heure d’innocence, qu’eussent compté nos premiers parents !"

"Les Vieilleries Lyonnaises" par Nizier du Puitspelu, Jean Honoré Editeur.

 

A vous faire tomber

Quand commence la saison des bugnes, la petite boulangerie de la rue Lanterne [1] ne désemplit pas. Et pour cause, elle a la réputation de faire les meilleures bugnes de Lyon. Monsieur Le Petit a régalé nos grands-parents et aujourd’hui c’est à Patrick Delbar de perpétuer cette tradition de l’excellence "Je suis le seul à connaître la recette et je ne l’ai même pas donnée à ma femme". Dans son petit atelier au fond de la cour ils sont trois à "bugner toute la journée" car les plateaux de dentelles craquantes qui arrivent dans le magasin sont pratiquement vendus dans l’heure qui suit. Les mains brûlées par les projections d’huile, l’odeur permanente de friture et les heures de travail n’altère même pas leur passion pour les bugnes : "Vous savez, on oublie vite les brûlures car nous sommes très fiers de faire les meilleures bugnes de Lyon". Et ils en prennent soin. Avant d’être sucrées, on les inspecte une par une pour enlever les plus graisseuses et elles sont si fines que quelques secondes dans l’huile bouillante suffisent. C’est un délice ! Certains spécialistes pensent même qu’elles sont meilleures qu’à l’époque du grand Le Petit. En France, il n’y a pas mieux et les Parisiens, les Viennois ou les Suisses connaissent cette adresse qui vous rend accro aux bugnes dès la première bouchée...

Patrick Delbar, boulanger-pâtissier.

 


LYON Capitale, 21 février 1996 (origine de l’article)

Voir en ligne : Article original


[1NDLR : Boulangerie Delbar,
9 rue Lanterne, 69001 Lyon


Vos commentaires

  • Le 12 septembre 2007 à 12:00, par M. L. En réponse à : T’es qu’une bugne !

    Bonjour,

    J’aimerais avoir une réponse à la question suivante :

    Est-ce grossier de parler d’un entretien bugne à bugne ?

    Pour moi bugne à bugne signifie : tête à tête (mais je ne suis pas lyonnaise).

    Merci.

    • Le 13 septembre 2007 à 03:01, par Patrice Vanneufville En réponse à : T’es qu’une bugne !

      Cette expression n’a rien de grossier, mais elle risque de faire froncer les sourcils à pas mal de français... De nombreux mots sont couramment utilisés en région lyonnaise sans être passés dans le langage commun : les gones, la gache, la vogue, etc.. On parle de régionalisme...

      ... Sans parler d’autres coins du monde : savez-vous ce que sont les dépanneurs ou les gosses au Québec !?

      Ici : le mal de bu. A Montréal : le mal de bloque !

    • Le 13 septembre 2007 à 13:35, par M. L. En réponse à : T’es qu’une bugne !

      Merci pour cette réponse.

      Qu’est-ce que la gache en région lyonnaise ?

      Je connais les gosses au Québec, mais pas les dépanneurs... si vous voulez me l’apprendre cela m’intéresse.

      Merci.

    • Le 17 septembre 2007 à 03:20, par Patrice Vanneufville En réponse à : T’es qu’une bugne !

      Un dépanneur est au Québec ce que l’on appelerait ici une épicerie de quartier.

    • Le 20 avril 2011 à 19:43, par Ben En réponse à : T’es qu’une bugne !

      C’est vrai que parler de régionalisme pour une expression c’est un peu gros.

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